Jeudi matin pluvieux sur le Pas de Calais, une petite foule se range dans les allées de la collégiale d'Aire sur la Lys.
Foule disparate, des jeunes, des vieux, des femmes, des hommes mais également des..noirs..une vingtaine. Pour certains un peu timides sur les chaises du fond, pour d'autres à la droite de la famille, au premier rang.
Le prêtre d'une voix douce et posée commence la lecture d'un texte de St Luc, à la suite du chant des choeurs. Jésus, sur la croix, au milieu de deux criminels, l'insultant et le conjurant s'il est fils de Dieu, de se sauver lui même et de les sauver.
Je ne suis pas une habituée, j'ai eu peur de la comparaison.
Puis cette voix tisse le lien, entre Jésus, les criminels, le regard accusateur que chacun peut porter sur tous et tous sur chacun, ce regard qui fait de vous quelqu'un de différent, quelqu'un de criminel.
Puis la solitude de Jésus et des deux hommes face à la mort. Puis leur réunion dans la mort. Ils s'accompagnent.
Enfin, moi, je l'ai compris comme ça.
Je suis rassurée. Je suis impressionnée.
Je pense à Romodan, qui a fui l'Erythrée, qui a traversé le désert, puis la mer, puis la moitié de l'Europe....
Pour mourir noyé dans un canal du Pas de Calais...tombé d'un camion en partance probable pour l'Angleterre.
Sans appel.
Schizophrène et hypocrite no man's land des Droits de l'Homme qu'est le Calaisis.
Cette voix rappelle les faits. Jean Pierre E. n'a pas hésité face aux appels à l'aide. Il a sauté.
Mais depuis la nuit de ce samedi 12 octobre, ils s'accompagnent tous deux dans la mort.
Jean Pierre et Romodan.
La bravoure de l'un n'a pas suffi au destin de l'autre.
Cette voix rappelle les faits:
le monde est tel qu'il est, beaucoup n'ont d'autre choix que de fuir leur foyer, bravant tous les dangers et venant s'échouer dans des lieux inappropriés menant à la mort, dans des conditions dont peu se vante.
le monde est tel qu'il est que les plus privilégiés d'entre nous doivent veiller à la protection de ceux qui la réclament.
le monde doit changer car se sentent bien seuls ceux qui n'hésitent pas ou plus et sautent.
Cette voix appelle aux faits, aux actes, à la réaction politique pour protéger les populations démunies, celle des réfugiés migrants, démunis aux milieux des champs, des squats, aux abords des canaux, des ports, en proie à toutes les tyrannies, celle des citoyens, démunis face à son prochain qu'on ne sait pas ou plus comment aider ou même aborder.
Jean Pierre est accompagné, famille, amis sont là et s'expriment pour lui dire au revoir.
Romodan l'accompagne aussi par un texte qui trace ce qu'il aurait pu dire à Jean Pierre s'il l'avait rencontré plus tôt, sur le regard qu'il lui a porté, sur la main qu'il lui a tendu.
Les compagnons de route de Romodan l'accompagnent aussi, expriment leur respect envers tant de courage et de solidarité, pleurent aux cotés de la famille, lui disent à sa fille et son fils qu'ils doivent être fières de leur père.
Respect et solidarité sont enveloppés de dignité.
La famille et les amis de Jean Pierre peuvent être apaisés de l'avoir vu partir dans une si belle cérémonie.
Demain auront lieu les obsèques de Romodan, au carré musulman de Longueness. Normalement.
Toute la famille présente en Europe, surtout en Angleterre, ne pourra sûrement pas être là, car les "services officiels" se sont chargés de tout, il n'y a donc pas de choix sur la date.
Et nous l'avons apprise ce soir.
Et puis ses amis ne pourront pas tous être présents, car on a limité le nombre de participant à la cérémonie.
De toute façon si certain osaient insister pour accompagner leur frère, leur ami dans son passage vers la mort, ils seraient accueillis à la gare.
Et ceux autorisés dans un nombre pré-défini, imposé, seront "accompagnés" par des policiers en civil.
Enfin..on verra demain, ici rien est écrit, c'est exceptionnel, c'est le Calaisis.
Même pour mourir il faut des papiers.
Edifiant et navrant. Les mots me manquent. France, terre d'asile? Reveille-toi pays des droits de l'Homme?
Rédigé par : Anthony | 20 octobre 2008 à 21:41